J’accumule

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L’année de 2019 a mal commencée et j’ai déjà trop accumulé: des tâches, des responsabilités, des appels téléphoniques, des délais et des réunions. Je me suis retrouvé à accumuler du stress, de la peur, des maux de tête, du dos et des épaules. De plus en plus de travail et de préoccupation. Du mal pour garder l’équilibre et ne pas paniquer. Et tout ça seulement en février!

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Alain Delorme, série Totem, 2009-2011

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Alain Delorme, série Totem, 2009-2011

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Alain Delorme, série Totem, 2009-2011

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Alain Delorme, série Totem, 2009-2011

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Alain Delorme, série Totem, 2009-2011

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Alain Delorme, série Totem, 2009-2011
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Une élection, et les différents discours possibles

Battre en brèche les clichés brésiliens. C’est tout l’objectif de l’école de photographie documentaire humaniste de João Roberto Ripper. Ce photographe brésilien a eu une influence énorme sur la formation de nombreux artistes au sein de la communauté démunie de Maré, à Rio de Janeiro. Son regard avant-gardiste sur les favelas l’a amené à créer l’Ecole des Photographes Populaires (EFP) en 2004, pour les étudiants des écoles publiques et habitants des environs. Une première, dans ces quartiers assez pauvres, loin des belles plages, de la samba et du regard (inter)national. En outre, il a su faire émerger une vision de l’intérieur de la favela plus ouverte sur l’extérieur. L’EFP a formé toute une génération de photographes en leur donnant une voix au-delà de leurs communautés. Il a rendu possible un discours différent qui est habituellement véhiculé par les médias de masse.

 

Parallèlement, en ce mois d’octobre 2018, on vote pour élire le nouveau Président du Brésil. À cette occasion, au milieu des discours politiques, les voix des minorités sont très peu entendues. Mon ancienne collègue Ana Mendes, collaboratrice du photographe JR Ripper pendant longtemps, travaille sur les Indiens Guarani Kaiowá de la région du Mato Grosso do Sul, un état du Brésil. Une autre communauté contrainte au silence. Ana a ouvert  l’exposition « Je maintiens ce que j’ai dit »  au Centre de Photographie de Montevideo cette année, avec l’uruguayen Pablo Albarenga. Elle documente ainsi depuis trois ans les conflits qui existent dans la région, notamment en participant à plusieurs documentaires tels que « Le massacre de Caarapó », « Pieds de Anta », « Munduruku » et « C’était venimeux » sur la dispersion criminelle des pesticides par les agriculteurs sur les terres indigènes.

 

Ana Mendes

 

« Je maintiens ce que j’ai dit » est une série humaniste qui dénonce l’objet photographié avec empathie. Les peuples autochtones ne sont pas simplement des thèmes controversés utilisés pour créer une frénésie médiatique. Ici, les photographes s’approchent de leurs sujets, qu’ils considèrent comme des pairs, les regardent attentivement et avec attention. Sans pour autant échouer à faire un (très bon) documentaire photographique d’accusation sociale, sur les pas du maître João Roberto Ripper qui a toujours été actif dans ce domaine.  Ripper avait dépeint la diversité de la réalité brésilienne en photographiant les minorités silencieuses, tels que les « quilombolas », des pêcheurs, des indigènes … Avec Ana Mendes, il a aussi travaillé dans la campagne de la région de Minas et du Maranhão à l’occasion d’un projet de portraits des peuples traditionnels de la rive droite de la rivière São Francisco.

 

La fin du monde pour les peuples Indiens a commencé en 1500. – Eduardo Viveiro de Castro

 

Ana Mendes, Caarapó, Mato Grosso do Sul.

 

Ana Mendes

 

L”exposition compare l’imageet la parole. En d’autres termes, elle montre des images du conflit et du quotidien vécu par les indiens, confrontés aux critiques des politiciens brésiliens dans les médias. Un affrontement brutal, entre ceux qui n’ont rien, aucune voix ni pouvoir, et ceux qui ont tout. Les deux photographes dénoncent le racisme, les préjugés, la moquerie et la discrimination dont les autochtones souffrent. Ils montrent aussi comment les médias indépendants sont un espace essentiel pour le dialogue et la mise en avant des idées et des politiques, avec toujours plus de respect et d’égalité. Chaque phrase écrite résonne comme un miroir de notre société et de cette élection.

 

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Le début d’un site, la vanité et la photographie

C’est la rentrée! Depuis un moment déjà, comme vous pouvez le constater, j’ai décidé de saisir ma chance dans ce vaste monde qu’est l’Internet. Un peu de vanité! J’avais déjà tenté auparavant, très brièvement, de petites invasions timides sur le web. Elles avaient toutes en commun un manque flagrant d’expérience et de temps. Résultat : mes quelques sites ouverts sont oubliés et perdus quelque part dans ce grand réseau. Mais cette fois-ci, je crois vraiment que ça va être différent, parce que je suis plus narcissique.

 

Que vous ayez un blog, une page facebook, un compte instagram ou youtube, tout contenu – vidéo, image ou texte – est personnel, et demande une certaine vanité pour être présenté aux yeux des autres. Comme dans le mythe de Narcisse, nous sommes attirés par le reflet de notre propre image et nous tombons amoureux de nous-mêmes. En cette ère technologique et instantanée, le mécanisme même du téléphone mobile et des réseaux sociaux conduit à un véritable exhibitionnisme. C’est comme si la société technologique nous encourageait à être plus vaniteux. Et un arrangement exact se forme, comme dans le mythe de Narcisse.

 

Mais il y a tout de même des limites !

 

Francesco Vaninetti , 2018

 

Avoir de la vanité et de l’estime de soi, vouloir passer un message, partager quelque chose que nous trouvons fascinant avec le reste monde, c’est génial ! Et tout le monde suit des sites intéressants, voire même de véritables pépites. C’est grâce à ce genre d’exhibitionnisme que l’on trouve sur internet de nouveaux paramètres (des photos différentes, des idées surprenantes). Il y a dans les partages sur internet une prédisposition des individus à dialoguer entre eux. Un autre exemple sont les autoportraits, dits « selfies » : ils ont leur côté positif si on accepte de les voir comme des déconstructions du soi et comme une façon de nous (re)connaître au milieu de la masse cybernétique.

 

Mais que faire de la démesure ?

 

 

Narcisse n’était pas intéressé par le fait de divulguer son image, il est simplement tombé amoureux de lui-même et il s’auto-suffisait. Il ne cherchait ni à dialoguer, ni à délivrer un message. Alors que, dans le monde de l’image virtuelle, nous ne nous suffisons pas à nous-même. Au contraire, nous avons toujours besoin de l’approbation des autres. Nous voulons toujours plus de « likes », plus de commentaires et une circulation massive de notre message. L’originalité de l’image qu’on diffuse est moins importante que ses caractéristiques inhérentes à la mode du moment. C’est ce dernier critère qui donnera du crédit au contenu et favorisera un plus grand nombre de partages. La professeure américaine Jodi Dean parle, pour décrire ce phénomène, de la « valeur de circulation » d’une image, où la répétition et l’imitation sont des valeurs plus importantes que l’expression et l’analyse.

 

L’image perd sa valeur et s’épuise en elle même.

 

Le sociologue polonais Zigmunt Bauman estime que le présent est ce qui séduit, ce qui est accessible à notre société avide de consommation, d’information et de nouveautés. Nous vivons en fonction des stimuli externes, toujours attentifs à combler notre cerveau d’images, de sons, d’opinions et de sensations en permanence. Il y a une perte de signification de l’image parce que le processus de la photographie commence et se termine par une imitation rapide et désintéressée. Notre époque à tendance à détruire tout vestige des temps antérieurs, nous perdons notre capacité à nous lancer des défis et les relever, et à atteindre une liberté créative absolue.

 

L’internet fait partie de notre monde actuel. C’est une opportunité énorme de faire circuler de nouvelles idées et images à l’échelle mondiale. Nous devons croire en nous-mêmes au point de penser, et d’espérer, que ce que nous allons partager fera la différence. Mais il ne faut pas s’en tenir au nombre de « likes » et de commentaires : ce n’est pas en cela que réside le succès ou l’échec. J’ai déjà avoué mon exhibitionnisme, mais je ne veux rien prouver à personne, juste diminuer le confinement et enrichir le dialogue sur l’image et ses différents enjeux.

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Une pause : la photographie et le zen bouddhisme

Oui, c’est les vacances! Dernièrement – pour des questions personnelles, politiques, technologiques, mondiales et tant d’autres – j’ai grand besoin d’une pause. Quand je parle de pause, je pense au silence, au calme, au vide… Je veux m’arrêter et prendre une grande bouffée d’air !

 

Les photographies du japonais Hiroshi Sugimoto apportent précisément ce sentiment de sérénité dont j’ai besoin pour revenir en forme des vacances. Sa série « Seescapes », sur les mers autour du monde, présente des images de l’eau et du ciel sans aucun élément supplémentaire. Un vide qui apaise. Sugimoto élimine tout objet extérieur, supprime tout drame de la photo et tout récit possible. Le manque de mots et d’explications, l’intangibilité des référents de l’air et de l’eau et la répétition incessante de la composition géométrique yin-yang font que l’image acquière ce « vide » dont je vous parle.

 

 

Mais en observant chaque paysage maritime minimaliste, nous réalisons que ce vide est aussi une accumulation, dans ce cas précis, de vagues. Et c’est aussi une accumulation de temps, parce que Sugimoto laisse l’obturateur de son appareil ouvert plus de 20 minutes pour chacune des images de la série. Etant donné les origines japonaises de notre photographe, on peut parler ici d’un vide bouddhiste (et dans son cas, zen bouddhiste). Pour les bouddhistes, le concept de vide est radicalement opposé au vide occidental. Leur vide ne doit pas être compris comme un « manque de quelque chose » mais plutôt comme une plénitude. Ce vide idéal correspond à la fin des illusions, de la logique, des préjugés et des obstacles de la pensée objective. Il s’agit du moment où l’esprit est prêt à comprendre. Dans cette sphère, tous sont vus sans dichotomie : à la fois le soi et les autres.

 

Une anecdote zen raconte qu’un maître bouddhiste aurait dit à son disciple : « sans hâte, nous pouvons arriver plus vite ». C’est l’observation, le silence, la méditation et la contemplation qui conduisent à l’intuition de l’esprit et à « l’éveil ». Nous devons nous perdre, dériver librement afin de pouvoir comprendre intuitivement et totalement ce qu’est le zen. Il n’y a pas un unique chemin correct pour accéder à la vérité, car nous y sommes déjà. C’est-à-dire que nous ne devons pas chercher à trouver la vérité mais plutôt à nous y fondre.

 

 

Nous pouvons facilement relier ces concepts à l’art d’Hiroshi. Ses images amènent naturellement l’esprit à un état contemplatif, voire de méditation. L’esprit apaise, se calme, s’arrête et observe, et sans hâte, il traverse l’image. Intuitivement, on plonge dans les détails, dans les accumulations, jusqu’à ce qu’on perçoive une transformation et que notre esprit s’éveille.

 

Bonnes Vacances à tous!

 

 

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La politique brésilienne : entre regarder et nier

La peur rend aveugle, dit la jeune fille aux lunettes teintées, Vous avez raison, nous étions déjà aveugles au moment où nous avons été frappés de cécité, la peur nous a aveuglés, la peur fera que nous continuerons à être aveugles. – José Saramago, L’aveuglement

 

Le 14 mars 2018, Marielle Franco a été assassinée en plein milieu du centre-ville de Rio de Janeiro. Élue conseillère municipale de Rio de Janeiro, femme, noire, lesbienne, militante pour les droits de l’homme et présidente de la commission sur les dérives policières dans les favelas de Rio, l’enquête sur son meurtre n’a toujours pas été résolue. Sa mort a déclenché une quantité incroyable de « fake news » parmi les plus farfelues, propagées par tous les medias de manière virale. Et cru par une grande partie de la population. En ce temps de désillusion, de perte de visibilité et aussi de sens, la photographie nous guide vers ce qui importe, et vient en aide à ceux qui n’ont pas l’espace pour se représenter.

 

La photographie est l’art de la vision. A l’instar de l’œil humain, qui forme des images à partir de la lumière et les transmet au cerveau par le moyen d’impulsions nerveuses, la camera fonctionne essentiellement de la même manière, c’est-à-dire comme une chambre noire qui saisit la lumière qui y entre en fonction de certains critères techniques afin de reconstituer une image. Parallèlement, comme la photographie, l’œil humain découpe sa vision personnelle du monde et propose sa propre version, subjective.

 

Nana Moraes, Rio de Janeiro, 2018

 

Entre similitudes et différences, le regard photographique peut aussi nous conduire à de nouvelles opportunités, manières de penser et de percevoir à la fois le monde et nous-mêmes. Mais nous devons pour cela bien observer. Il ne suffit pas de vouloir voir avec l’œil gauche ou l’œil droit, il faut avant tout bien ouvrir les deux yeux et regarder autour de soi.

 

Je pense que nous étions aveugles, des aveugles qui voient, des aveugles qui, voyant, ne voient pas. – José Saramago, L’aveuglement

 

Le philosophe français Gilles Deleuze considérait notre société comme la “civilisation du cliché”. D’une part, parce que l’excès d’images produites aujourd’hui provoque une banalisation de ce que nous voyons et, du coup, à force de ce trop-plein d’images, nous ne voyons plus rien du tout. Et d’autre part, parce que l’implication de la politique déforme le corpus des images diffusées. Dans ce cas, l’image cesse alors d’être « vision » pour devenir un instrument d’aveuglement. Mais l’art n’est pas aveuglement. Au contraire, la photographie est synonyme de liberté et de réconciliation. Il s’agit de surmonter les peurs et dénicher des opportunités. La photographie nous aide à enlever nos œillères, et à les saisir. C’est une manière de résister, de montrer les autres voies possibles, d’autres réalités, et ainsi d’ouvrir les paradigmes. L’art remue le couteau dans la plaie, elle questionne, elle fait mal, mais c’est ainsi qu’elle indique comment nous pouvons changer pour être meilleurs que nous le sommes aujourd’hui.

 

Paulo Marcos Lima, Rio de Janeiro, 2018

 

La photographie peut étaler un changement, peut clarifier, peut créer de l’empathie, résister et se battre.

 

Ana Carolina Fernandes, Rio de Janeiro, 2018

 

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